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Conférence-midi // Relations entre parents d’intention, enfant et surrogate

Relations entre parents d’intention, enfant et surrogate

Bibliographie de Jérôme Courduriès

Résumé de la conférence

La gestation pour autrui consiste en un accord entre des parents d’intention (hétérosexuels ou gays) et une femme qui accepte de porter un enfant pour eux. Lorsque, dans les couples hétérosexuels, la mère d’intention peut procréer mais ne peut pas porter l’enfant, l’embryon est conçu à partir des gamètes des parents d’intention. Lorsque cette femme ne peut pas du tout procréer ou lorsqu’il s’agit d’un couple gay, l’embryon est conçu grâce à un don d’ovocyte. En d’autres termes, aujourd’hui, dans une très grande majorité des situations, la femme qui porte l’enfant pour autrui (surrogate) n’est pas à l’origine de sa conception. Cela s’explique en partie par la prééminence, dans les représentations dominantes de nos contemporains, du rôle des liens biogénétiques dans la fabrication de la filiation ; du moins dans la pensée euro-américaine de la parenté, telle que David Schneider l’a décrite dans American kinship : pour favoriser la maternité de la mère d’intention et, surtout, pour faciliter une forme de détachement entre l’enfant et la femme qui l’aura porté et mis au monde, la surrogate ne doit pas l’avoir procréé.

Les nombreuses discussions éthiques, morales et politiques qui entourent la gestation pour autrui ont conduit un certain nombre d’États à prendre des dispositions législatives contrastées ; les uns, dont la France, l’ont explicitement prohibée, d’autres ont adopté un encadrement législatif qui, dans les détails, diffèrent d’un pays à l’autre, d’autres enfin n’ont opté pour aucune régulation. Les représentations euro-américaines de la parenté, qui fondent prioritairement la filiation sur le lien de sang (ou le lien génétique) avec les deux parents, tendent à s’imposer, à la faveur d’une forme de globalisation, dans un nombre croissant de contextes culturels. Néanmoins, dans les pays qui ont encadré la GPA et ceux qui ne l’ont pas régulée et qui, en quelque sorte, l’autorisent implicitement, d’autres représentations traditionnelles de la parenté entrent en concurrence. Par ailleurs l’interdiction de la GPA dans de nombreux pays et les différences de coût financier des gestations pour autrui qui varie d’un pays à l’autre du simple au triple, favorisent les recours transfrontaliers. Si bien que dans bon nombre de cas, les parents d’intention et les surrogates appartiennent à des pays différents.

Le contexte dans lequel vit la femme porteuse qui aura été sollicitée par les parents d’intention détermine les conditions dans lesquelles s’accomplit le projet parental et se déroule le temps de la gestation pour autrui. Il influe nécessairement sur la relation entre la femme porteuse et les futurs parents qui l’ont « engagée », bien souvent par le biais d’intermédiaires. La place de chacun, chacune dans le projet et dans la vie de l’enfant à naître, les modalités d’interconnaissance et la nature des relations que les uns et les autres entretiendront (ou non) sont donc intrinsèquement tributaires du contexte national, juridique, économique, social et culturel, des représentations et des souhaits des parents d’intention certes mais aussi des surrogates.

L’anthropologie permet d’envisager la gestation pour autrui avec les nuances qui manquent souvent aux débats qui agitent la société française. La GPA est certes une technique d’assistance médicale à la procréation, mais elle est aussi une pratique d’institution de la parenté mettant en jeu des rapports économiques, politiques et de genre. Ce sont ces enjeux que je propose de contribuer à éclairer dans cette communication.

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